Publié le Janvier 12, 2024Mis à jour le Juin 11, 2024
Volubile, avec son accent napolitain qui ne l’a pas quitté depuis qu’il a posé ses valises en France en 1986, Gennaro Iorio est un personnage charismatique. Il faut dire que son parcours a quelque chose de romanesque. Au milieu des années 1980 donc, Gennaro achève sa formation artistique à l’Istituto d’Arte Filippo Palizzi de Naples. 1987 : à l’ouverture de la saison estivale, le voici au bar du Casino de Monte-Carlo : il enfile le costume de garçon d’office. Il travaille aussi à la Salle des Étoiles où il côtoie un certain Alain Ducasse, fraîchement arrivé en Principauté. Saison suivante : « Je suis jeune papa et j’ai besoin de travailler, se remémore Gennaro Iorio, j’entre pour la première fois aux Caves de l’Hôtel de Paris, tout en faisant des extras en salle. » Et en suivant les cours d’œnologie dispensés par Michel Balanche. Tout en préparant ses premiers concours. Très vite captivé par l’univers du vin, le jeune homme fait feu de tout bois. Toujours en cave et en salle, Gennaro Iorio est nommé Chef caviste en 1993. Il dit alors adieu à la salle, « avec un peu de regrets », mais c’est seulement à ce prix que le nouveau patron des caves peut « prendre le temps de voyager, partir à la rencontre des vignerons… »
Ces premières années, d’abord comme sommelier puis comme caviste, Gennaro Iorio a assisté et participé à la professionnalisation du métier. Il a par exemple vécu l’arrivée de Jean-Pierre Rous, premier Chef sommelier au Louis XV - Alain Ducasse à l’Hôtel de Paris. Avant cela, le métier de sommelier se confondait avec celui de maître d’hôtel. Un temps révolu avec la reconnaissance progressive de toute une profession. Vient ensuite l’époque des concours, où « tout le monde voulait être champion du monde ». Si le métier en lui-même n’a pas évolué, les connaissances sont chaque année « plus techniques, plus spécifiques », analyse le Chef caviste. « Nous avons besoin de gens passionnés. » Et voilà bien un sujet qui intéresse grandement Gennaro Iorio : que peut-on faire pour que les jeunes puissent développer leur passion ? À son échelle, à sa façon, il s’efforce de partager et transmettre, emmenant les jeunes recrues lors de ses visites de vignoble par exemple. Une mission très importante pour lui, même si la gestion quotidienne des caves occupe la plus grande partie de son temps.
Gardiennage, conservation du vin, approvisionnement de tous les points de vente du Resort, « de la table étoilée en passant par la brasserie ou la boîte de nuit », participation aux salons professionnels, comités de dégustation… Les missions de Gennaro Iorio sont diverses et multiples. Pour approvisionner les quelque 40 points de vente, l’organisation se doit d’être millimétrée, entre la cave du Sporting Monte-Carlo, point d’entrée de l’approvisionnement, et les Caves de l’Hôtel de Paris, « essentiellement dédiées à l’élevage du vin ». Chaque hôtel du Resort possède sa propre cave, qui alimente elle-même les caves de chaque point de vente. Chaque jour, l’équipe de Gennaro Iorio approvisionne donc les caves des établissements de manière à garder « plusieurs flacons d’avance pour chaque référence à la carte, en condition de vente ». En effet, les bouteilles vieillissent dans des conditions de garde dans les Caves de l’Hôtel de Paris : une température qui varie entre 13,5° et 14,5° et un taux d’hygrométrie entre 75 % et 85 %. « Ce n’est pas la bouteille sortie de la cave le matin qui sera ouverte le soir. » Voir partir les bouteilles, justement, n’est-ce pas un crève-cœur lorsqu’on les veille depuis des années ? « En tant que gardien du temple, j’aimerais ne rien vendre ! » s’amuse Gennaro Iorio. « Mais je sais bien que nous sommes là pour partager le plaisir, et ouvrir les bouteilles. » Parfois, les chefs sommeliers le convient à la dégustation lorsqu’une bouteille particulièrement singulière est vendue. Des moments de partage et de grande émotion.
Loin de l’image d’Épinal du caviste solitaire, Gennaro Iorio exerce avant tout un métier de contact, de partage. Contact avec le chef sommelier exécutif du Groupe Patrice Franck évidemment, pour les questions les plus stratégiques. Contact aussi avec l’ensemble des sommeliers, pour assurer la fluidité de cette belle mécanique qu’est la gestion des caves, et s’assurer des bonnes conditions de stockage dans les établissements. Partage, enfin, et c’est là l’essentiel, lors des visites de vignobles, des salons mais aussi lors des comités de dégustation qui rassemblent les chefs sommeliers et le Chef caviste chaque vendredi matin.
Des milliers de flacons d’exception dorment et vieillissent dans les Caves de l’Hôtel de Paris et c’est à Gennaro Iorio et son équipe de veiller sur leur évolution afin de les proposer au service au moment le plus propice. Mais c’est aussi dans les attributions du Chef caviste de veiller sur le patrimoine de la cave : « Il y a quelques années, j’ai senti le besoin de créer un endroit pour préserver les traces de l’Histoire. » Dans ce « stock de garde », des millésimes particuliers, des flacons en lien avec la famille princière ou l’histoire de la Principauté… On peut y voir reposer un cognac de l’époque napoléonienne, comestible et avec son bouchon authentique : « Oui, toucher ces bouteilles peut donner des frissons », reconnaît volontiers le Chef caviste. D’autres références sont conservées pour le vieillissement, attendant que le temps fasse ses œuvres… Et pour cela, hors de question de hâter les choses : « Nous devons parfois, par professionnalisme, dire “non” aux clients. Paradoxalement, ne pas pouvoir accéder à certaines choses, cela peut faire rêver aujourd’hui. » Une façon aussi de préserver la réputation des caves et du Resort.
Loin de l’image du caviste ermite, Gennaro Iorio est un témoin de premier plan des us et coutumes : « Consommer du vin pendant 3 heures à table dans un restaurant gastronomique, c’est fini. En revanche, on peut consommer une bouteille de quelques milliers d’euros avec un simple sandwich. » Les codes changent, les modes passent… Des modes pour la plupart anticipées par les professionnels du Resort. Aujourd’hui, le bourgogne a le vent en poupe, et demain ?
Après 36 ans chez Monte-Carlo Société des Bains de Mer, Gennaro Iorio pense à la suite. Il y pense même tous les jours. L’après ? Ce n’est pas la retraite, non : c’est faire du vin, « revenir à la terre ». En attendant de trouver sa parcelle de bonheur sous le soleil méditerranéen, Gennaro Iorio poursuit sa belle histoire d’amour avec le monde du vin, auquel il consacre tout son temps et toute son énergie, et qui ne connaîtra jamais de fin.
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