Publié le Juillet 23, 2024Mis à jour le Novembre 15, 2024
Tout près de Monaco, le site Cap Moderne, Eileen Gray et Le Corbusier au Cap Martin constitue un ensemble architectural unique et fascinant. Bâti sur le littoral, dans un environnement préservé, il témoigne du travail de figures majeures de l’architecture et du design du XXe siècle. Visite guidée en compagnie d’Antide Viand, administrateur du site pour le Centre des monuments nationaux.
Sur la pointe de Cabbé, à Roquebrune-Cap-Martin, le hangar Cap Moderne est le point de départ de la visite. En empruntant le sentier littoral – celui qui relie Monaco à Menton – on découvre un peu plus loin un petit portail, d’où une volée de marches s’enfonce dans la végétation. Arrivé sur un terrain en restanques planté de citronniers, les lignes géométriques d’une maison blanche se dévoilent : il s’agit de la villa E-1027, conçue et bâtie par la designer et architecte irlandaise Eileen Gray et l’architecte Jean Badovici entre 1926 et 1929.
Face au somptueux paysage de la baie de Roquebrune et de la côte monégasque, la bâtisse s'adapte parfaitement à son environnement, épousant le terrain en terrasses juste au-dessus des rochers et de la mer. “Tout dans la maison évoque la navigation. Il faut l’imaginer comme un bateau qui s’est posé sur la côte et qui est prêt à repartir”, précise Antide Viand. Établie sur deux niveaux, la villa se compose d’un rez-de-chaussée supérieur et un rez-de-chaussée inférieur. On découvre en premier lieu la petite cuisine, à l’arrière. Fonctionnalité et modernisme sont déjà là, à travers les formes géométriques, les aplats de couleurs primaires ou les lignes graphiques du réseau électrique volontairement apparent.
© Regards Banque d'images des monuments
Pourquoi E-1027 ?
Énigmatique au premier abord, l’intitulé de la villa fait tout simplement référence aux initiales entremêlées de ses deux concepteurs : E pour Eileen, 10 pour J (la 10ᵉ lettre de l’alphabet), 2 pour B et 7 pour G. Conçue pour Jean Badovici, il en resta le propriétaire jusqu’à sa mort en 1956. Eileen Gray ne fréquenta la villa que quelques années, jusqu’en 1932. Amis ou couple, un certain mystère plane encore sur la nature de leur relation. Reste qu’entre les murs de cette maison, l’atmosphère témoigne d’une évidente complicité.
Sous le porche, l’inscription au pochoir “Entrez lentement” invite avec une pointe d’espièglerie à pénétrer dans l’entrée exiguë délimitée par un meuble fixe, ”l’épine paravent”, pensé pour trouver une place à chaque chose. Se découvrent ensuite le vaste séjour et son grand divan, les longues baies vitrées en accordéon et le balcon dont les auvents bleus forment un cadre parfait sur la Méditerranée. Une douce lumière envahit la pièce.
Dans les années 1920, l’architecture moderniste, alors en pleine émergence et définie notamment par Le Corbusier, prône un style simple et fonctionnel. “Eileen Gray et Jean Badovici vont en reprendre les codes (...), mais ils vont concevoir une architecture autour de l’individu et de ses besoins propres”, explique Antide Viand. De fait, conçue “pour un homme seul et sportif qui reçoit des amis”, la villa crée des espaces ouverts favorisant la convivialité, mais privilégie aussi l’intimité, à l’image de la petite alcôve avec sa banquette, ou des chambres, indépendantes avec leur accès direct à l’extérieur.
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Des peintures controversées
Hôte de Jean Badovici en 1938 et 1939, le célèbre architecte Le Corbusier laisse son empreinte dans la villa sous la forme de plusieurs peintures murales, comme La Femme rouge à la pelote sur le mur extérieur de l’entrée. “C’est finalement assez paradoxal, note Antide Viand, Le Corbusier ayant dans un premier temps, vanté la pureté de l’architecture. Son œuvre picturale, dès lors qu’elle investit les murs, témoigne d’une démarche différente.” Une intrusion picturale qu’Eileen Gray, semble-t-il, n'apprécia guère...
La villa E-1027 “est une sorte de manifeste de la modernité, de la technologie. Eileen Gray va chercher à la fois des dispositifs innovants, mais aussi des matériaux de son époque et des matériaux d’avant-garde, quitte à les utiliser différemment”, résume Antide Viand. Polyvalents, fixes ou mobiles, les meubles, dessinés sur mesure par Eileen Gray, témoignent de cet esprit novateur. La table d’appoint circulaire nickelée et ajustable en hauteur, le fauteuil Bibendum en toile enduite, les éléments et les luminaires en celluloïd, les étagères modulaires intégrées aux murs... tous sont, depuis, devenus des classiques du design, maintes fois réédités ou copiés.
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Une restauration exemplaire
Si près d’un siècle après sa conception, le temps semble n’avoir rien effacé de sa modernité, c’est aussi grâce à un formidable travail de restauration. Classée monument historique en 2000 puis rachetée par le Conservatoire du littoral avec l’aide de la mairie de Roquebrune-Cap-Martin, la villa E-1027 était alors fortement délabrée. Débutés en 2003, les travaux ont permis dans un premier temps de consolider la structure en béton armé et de restaurer l’existant. Puis, sous la conduite de l’association Cap Moderne et avec l’appui de spécialistes internationaux, l’objectif devint de restituer la villa dans son état d’origine de 1929. Un soin particulièrement minutieux s’est porté sur la reconstitution des meubles à l’identique, dans les matériaux de l’époque – les originaux ayant été dispersés lors de ventes aux enchères à Monaco en 1991 et 1993. Amateur éclairé de la villa, le Prince Albert de Monaco compte parmi les mécènes privés ayant largement contribué à sa restauration.
La visite se poursuit sur le terrain adjacent, où se tient l’Étoile de Mer, édifice construit en 1949 par Thomas Rebutato, artisan plombier à Nice venu ici installer un petit bar-restaurant dans l’esprit des cabanes de pêcheurs. À l’intérieur, près du comptoir décoré, ou sur la terrasse à l’ombre de la pergola avec la mer à perte de vue, on imagine aisément l’ambiance simple et conviviale qui devait baigner les lieux.
Sur la façade, un tableau de Le Corbusier représente Thomas Rebutato et un pêcheur d’oursin, sous l’inscription “À l’Étoile de Mer règne l’amitié”. Dès son ouverture, Le Corbusier fut l’un des fidèles clients de l’Étoile de Mer et une véritable amitié se noua entre l’architecte et le propriétaire des lieux.
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Attenant à l’Étoile de Mer, le cabanon en bois que fit construire Le Corbusier en 1952 témoigne de ce lien. Cette cabane d’aspect rustique démontre aussi tout le génie de l’architecte. “C’est un objet architectural qui fascine les architectes : il est à la fois ultra-minimaliste, parfaitement fonctionnel et réversible. Il répond par anticipation à des préoccupations très actuelles..”, souligne Antide Viand.
Bâtie d’après les règles du Modulor – son système de proportions harmonieuses basé sur les dimensions humaines –, son intérieur est un exemple d’optimisation avec la banquette-lit, la table de travail, les rangements intégrés ou le dispositif de ventilation naturelle. Le jardin, avec ses essences exotiques et endémiques, contribue à donner un petit air de paradis à ce qu’il appelait son “château sur la Côte d’Azur”. Depuis 2016, le cabanon fait partie des 17 bâtiments ou sites de Le Corbusier inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco.
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La visite se termine par les cinq unités de camping, que Le Corbusier fit construire en 1957 pour Thomas Rebutato. Deux lits simples, un lavabo, l’utilisation de couleurs franches sur les façades et au plafond, et là encore, tous les principes de l’habitat fonctionnel et esthétique de Le Corbusier, dans ces chambres de 8 m2 qui ont accueilli des vacanciers jusqu’au milieu des années 1980. Aujourd’hui, des invités et des artistes en résidence y logent encore parfois tandis que Magda Rebutato, figure historique du site et présidente de l’association Eileen Gray . Etoile de Mer . Le Corbusier, séjourne chaque été dans ces lieux chargés d’histoire.
En déambulant sur ce site atypique, de la villa au cabanon meublés comme à l’origine, architecture et récits intimes se mêlent, donnant au visiteur le sentiment d’être un invité privilégié au cœur d’un patrimoine vivant. Dans un cadre naturel remarquable, il offre la vision d’esprits brillants qui ont marqué leur temps et concrétisé leur définition des plaisirs simples de la vie en bord de mer. Une certaine idée de la dolce vita méditerranéenne.
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